lundi, décembre 08, 2008

Un poker en Afrique

J’arrive a Dakar à 20h15, mon collègue N’Dy devant me retrouver dans le hall pour me conduire à mon hôtel. Bien sur, j’ai un doute sur ma capacité à le reconnaître, ne l’ayant vu que deux fois l’année précédente et quand un type assez imposant vient droit sur moi avec un grand sourire je crois que je mon souvenir me joue des tours et que c’est lui…mais en fait, non, c’est un type qui veux me vendre des cartes SIM pas cher. Je me faufile entre les chacals à la recherche du touriste de base et décide d’attendre au niveau des taxis. Je plaisante avec deux gamins qui veulent ma montre quand un type tout maigre m’interpelle par mon prénom, là ma mémoire me joue vraiment des tours c’est qui ce gars ? Je le suis jusqu'à une Audi blanche où N’Dy en Djellaba blanche et lunettes de soleil (il fait nuit) m’attends coffre ouvert, et oui, c’est bien le gaillard imposant de ma mémoire.

Son cousin (le maigre) et lui me conduisent à mon hôtel, puis :
- Tu as faim ?
- Non, pas vraiment mais afin d’éviter que je me réveille en pleine nuit avec une fringale, on peut aller grignoter léger
- Ok, va aller au casino
- Au casino ?
ben voyons, bien sur…
Chemin faisant, je repère la route (et la distance) vers le lieu de gamble local et une fois la voiture garée (mais pourquoi tu transpires autant pour faire ton créneau ? bah, ils ont oublié de me monter la direction assistée…lol) nous entrons face à un énorme bandeau publicitaire : la plus grande salle de poker d’Afrique.
- Sans déconner…c’est un piège ou quoi ? Qui t’a dit de m’amener là ?
- ??? De quoi tu parles
- Allez sort la caméra cachée…ça fait une heure que je suis la et je suis déjà en face de la pokerroom
- Pokerrooquoi ?

Bon, nous mangeons, nous flânons au rez de chaussé du casino entre les quelques machines à sous et partons.

Il est 23h30 et je me retrouve seul dans ma chambre. La TV est désespérante d’ennui, l’épisode de Sarah Connor’s Chroniques sur mon PC sent le réchauffé (mais qu’est ce qu’ils ont tous les scénaristes ricains avec les références au Magicien d’Oz…on dirait que c’est le seul bouquin de leur littérature…même dans le dernier épisode de The Shield ils le refourguent…bref, c’était un petit coup de gueule sur la culture US inexistante au point que pour se faire comprendre les auteurs utilisent toujours le même truc métaphorique a deux balles)…Je craque et dans ces cas là, seul le cliquetis des jetons me berce. Je descends la rue, tourne a gauche, à droite, tout droit puis à gauche et me voila au Casino du Port.

Je montre au premier étage, et ouvre la porte de la pokeroom, 3 tables sont en activité. Le floor manager m’approche (sa tête me dit quelque chose) et m’explique les us et coutumes. La table 1, c’est la finale d’un tournoi débuté à 21h. La table 3 c’est un cash game dealer choice à 5000Frs CFA la cave et la table 4 c’est un Sit&Go privé entre militaires. Je tourne un peu autour des tables pour voir comment ça se passe.
Première chose, aucun noir ne joue, ils sont croupiers. Deuxième chose, il y a 90% de libanais. Troisième chose, ils se connaissent tous. Quatrième chose, ils ne sont pas très éduqués pokeristiquement parlant mais ont compris le concept d’agressivité (Comme dit B. Fitoussi: au poker celui qui gagne c’est celui qui attaque…ok mais dioscure rajoute: et aussi celui qui chatte le plus)

Je change 3 caves à la caisse et pose 5k sur la dealer choice.
Premier coup Omaha 5 :
Je suis UTG avec KK558, je limp, le bouton pot-raise, je call pour un 4ways.
Flop : 679
Check, je pot en mode « bah, quoi j’suis max avec la quinte min »
Call, call et call
Turn :5
Check, je pot-all in en mode « bah, quoi j’suis superconfiant couchez vous »
Call, call et call
River : 6
Pot de la femme au BB
Call, call
Je pense être dernier de la classe mais elle montre un brelan de 6 avec un As et les autres se couchent…heu…moi j’ai full min mais personne n’a quinte et tout le monde call mais qu’est ce qui se passe ??? on joue a 5 cartes les gars !!!!

Bon, premier coup et je me retrouve deep pour jouer, cool. La femme lance un Courchevel Hi-Lo.
Je suis de BB avec A4699, une bonne main pour se faire défoncer donc j’attends la relance pour folder mais tous le monde limp pour un family pot. Je catch un bon flop (2-7-8) qui m’ouvre pas mal de tirages mais que des tirages seconds donc je check. Le UTG pot et tout le monde call…j’hésite puis me laisse emporter par la vague et call aussi (bah, c’est mal joué, je sais)…turn :9, une vraie mauvaise carte pour moi car elle ouvre une tonne de quinte et n’améliore pas mon bas, allin du BB, fold partout. Je pense que le type a A-3 depuis le début mais en fait vu comme il a joué le premier coup il peut bien avoir brelan de 2 sur ce coup et attaquer en deglingo…Si je call c’est vraiment un call de pigeon avec second bas, brelan max, tirage quinte min sur un coup, au mieux je partage…bah, j’suis au casino du port, call…river :A…le type montre sa main : AA245….et prend tout…j’hallucine, jusqu'à la river j’étais large devant…et ce avec une main de merde

Ok, je prends le bouton un coup plus tard et la je pouffe de rire. Ils ont les boutons classiques de variantes exotiques à 5 cartes mais en plus ils ont un bouton ‘Flash’ et ça c’est vraiment énorme, j’imagine a Wagram lors de la grande époque de la 30€ dealer avec Yoann…on aurait joué qu’a ça, :)
Bon, je ne vais pas craquer même si je suis tenté pour voir, je dépose mes 2 caves de la poche en plus sur le tapis et annonce Seven Hi-Lo. A ma surprise personne ne dit rien, y’a même un gars qui dit ‘bonne idée je vais en faire un moi aussi’, c’est assez rare en cercle donc a souligner. Bref, je reçois une bombe de départ 888, un type pot en middle avec un A ouvert, ça call, je re-pot pour écarter mais call call et call. Je reçois un 7 et ça va allin a ma gauche avec KQ en open, callé par le type qui avait poté en middle, allin de la femme à ma droite, je pot pour finir le coup, et on est 4 allin. Le type avec KQ me couvrait.
Je finit avec 88876Q2…le type avec KQ fini KQKQ99Q…il touche la dernière Q à la 7eme tandis que la femme avait fait flush en 5 cartes (j’étais déjà battu mais je prenais l’extérieur) et que le type en middle fait un Lo au 7 à la 6eme….écartelé
Ok, ils m’ont rasé en 4 coups…mais tout comme le héros de ‘Pour quelques dollars de plus’, je vais revenir pour le second et dernier round.

Le lendemain, les yeux tout collés je me retrouvais donc au siège local, où le responsable IT a un bureau de fooolie (une chaise dans le couloir face à la baie de brassage.. bah, moi quand j’ai commencé, j’en avait même pas de chaise, je la partageais avec mon boss, lol, c’est peut être pour ça que même maintenant je ne suis jamais sur ma chaise et que je veux toujours celle de l’autre, a méditer). Bref, juste avant que le soleil ne se couche, N’Dy m’a accompagné à mon hôtel, et je suis parti me balader dans les rues de Dakar ou en fait j’ai découvert que j’avais pleins de frères (tous les 3m) et qu’ils étaient tous vendeurs de quelque chose. Y’en a même un qui a voulu me faire une arnaque vieille comme le monde (mais franchement il m’a pris pour un touriste allemand ou quoi ?), genre il vient d’avoir des jumeaux dont c’est la fête demain et il doit m’offrir quelque chose pour leur bon karma (il me donne un collier à perle) et bien sur à la fin de la discussion, il faut lui donner de l’argent pour chaque enfant pour le retour du bon karma, lol…
Rentré à l’hôtel, N’Dy m’annonce que sa voiture n’est pas réparée, qu’il vient de s’endormir devant la TV, bref que je vais bouffer tout seul le soir. Ok, it’s poker night baby !!!
Je m’empifre dans le restaurant de l’hôtel et I’am back to Casino du Port pour le tournoi de 21h.

Le tournoi est un peu cher pour le lieu, c’est un 150€ + 1rebuy ou add-on, mais le prizepool n’est pas inintéressant. Nous somme donc 3 tables et franchement c’est du grand Wagram de l’époque. Exemple : Allin in du gars qui a rien tirage rien, réflexion puis call du gars avec bottom pair, reraise allin du gars qui a 3betté preflop AK et qui est saoulé de voir 2 gars à tapis avant lui et finalement un As de l’espace à la river qui le fait gagner. Et non content il annonce: "Ah, ce flop c’était un bad-beat, y’avait même pas d’As…mais je suis favori quand même au flop car je peux le toucher" et l’autre qui répond "non, cela aurait été un bad-beat c’est si j’avais AQ"…Mais ai-je sombré dans une dimension parallèle ?? C’est quand même pas vrai ce que je viens d’entendre !!!
2 tables, je shoote le meilleur joueur du tournoi (un jeune assez LAG mais très bon, je pense qu’il doit raser souvent la bas) sur un coin flip. Et le même gars que tout à l’heure reprend son histoire de définition du bad-beat "Ah tu as de la chance avec ta paire de 9, franchement avec son AQ il est loin devant, c’est un vrai bad-beat", un autre réponds "non, la paire est devant à 55% mais le bad-beat c’était si il avait AK"….Je n’ai pas pu me retenir, je suis parti dans un fou rire et je m’en excuse auprès d’eux car ils ont cru que je chambrais.
Anyway, nous somme 14 quand je reçois KK de bouton, un type fait allin UTG, un autre qui me couvre call, un asiat très tight et shortstack aussi et un vieux LAG au cuttoff fait pareil.
Je les regarde et me dit que c’est le moment, je balance le tout au centre, le gars qui me couvre instacall, l’asiat rajoute le peu qui lui reste et le LAG call aussi.
33 pour le premier gars à tapis, K10 pour la callingstation, QJ pour l’asiat, KJ pour le vieux, y’a pas d’As, ils se bloquent les quintes…tout va bien…trois piques au flop et le K10 gagne tout…Le vieux avec KJ me gueule dessus en disant "Tu joue trop mal, fallait caller, après on checkait tous pour le sortir, c’est la règle ! Maintenant on est tous dehors avec tes conneries, faut jouer la règle !!". Bon, je suis encore plus mort de rire et la franchement je l’énerve encore plus, il cherche du réconfort auprès de l’autre table "Putain, le jeune, la il débute, il fait tapis avec KK alors qu’on est tous dans le coup, il a même pas les As !!" Bref, je vais au toilettes pour qu’il ne me voit pas me bidonner à me pisser dessus.

Bon, c’est bien tout ça mais je suis perdant dans ce Casino fort sympathique donc je m’assied en cashgame. Je me trouve avec le jeune qui est bon, le type au K10 qui a tout dégueulé le temps que j’aille au pipi-room, sa mère (lol), sa tante (re-lol), et deux autres inconnus, un tight passif et un ultra LAG. La partie elle-même n’a pas trop d’intérêt, c’est du ping-pong entre le jeune bon et moi avec l’homme au K10 en balle (une main sur deux sa mère le recave), la tante qui demande a chaque tour si on ne veux pas faire que du Holdem, le ULAG qui pot puis muck tout les coups, et le tight qui ramasse les miettes. Par contre les discussions sont épiques :
Ah oui , Marrakech c’est bien !!! la table est active, c’est pas comme ici ça envoi du lourd’,
‘Les types y jouent trop avec leurs tête ici, c’est un jeu de cul bordel !!’
‘On a dealé le tournoi à 9, il était trop long' (heu…à ma montre il est 23h30 !!)
'On devrait jouer à la maison, ici l’accueil est moyen avec leur histoire de prélèvement chaque heure’
‘Ton père on le voit plus, il joue ou maintenant ? sur Internet, c’est truqué, tous le monde sait ça, faut pas y aller’,
'He Simon, t’es la ! j’étais a ton restaurant ce soir, bien, comme toujours, faut que tu passe au magasin, Pot blind pour mon Simon’

Bref, je suis reparti perdant du tournoi et juste a jeu du cashgame mais je me suis bien marré. Je recommande ce casino aux joueurs de passage, c’est convivial, exotique et les joueurs sont difficiles a lire, durs dans leurs relances bref la partie est loin d’être facile mais comme on dit a Paris ‘si vous etes en forme’ vous aller raser.

Je me suis mis à marcher dans les rues sombres de Dakar, j’ai croisé les taxis qui proposent des dames de nuit, j’ai croisé les ouvriers qui travaillent à la fraîche, et sur la grande place j’ai croisé Ibrahim le plongeur du bar de l’angle qui voulait que je lui paye une pizza. Ibrahim, éphèbe en tenue de basketteur ricain, m’a fait office de guide dans les bars de Dakar, j’ai vu les militaires chasser le gazelle (ou le contraire), les filles qui défilent à la recherche d’un petit-déjeuner à l’hôtel et les hommes d’affaire qui profitent de la misère. Cette économie parallèle, ce monde dans lequel chacun s’exploite mutuellement m’a écœuré, j’étais en overdose de réalité (car dans mes nombreux voyages j’ai intégré le trafic humain lié à l’argent mais pas celui qui échange corps contre nourriture, cette dématérialisation en billet de la misère convient mieux à ma morale, la c’était trop concret). Alors j’ai pris congé de mon guide, lui ai donné de l’argent pour une semaine de pizza et me suit enfoncé dans la rue vers le lampadaire tel le Lonesome Cowboy dans Lucky Luke vers le soleil, promesse d’une nouvelle aube.

Le lendemain, nous avons bouclé le planning dans les temps avec mes collègues locaux, et la nuit j’ai découvert Dakar avec N’Dy, une ville pleine de vie, des gens qui sourient et qui dansent. Au matin, nous avons pris le ferry pour Gorré avec un de ses potes (celui dont le nom est sacré, donc on l’appelle Jean pour éviter de dire son nom…très poétique je trouve). Et je me suis senti comme investi d’un patrimoine, j’ai compris un poème de Césaire qui m’avait laissé de marbre il y a bien longtemps, j’ai croisé un américain avec un Tee-shirt floqué de la tête d’Obama et quand il a vu mon regard fixé sur son poitrail, il m’a dit : ‘here is the past, it’s time to believe in tomorrow’. N’Dy et son pote sont allé se baigner, je suis resté attablé à la terrasse d’un bar, une Gazelle beer à la main, et j’ai écris comme je ne l’avais pas fait depuis longtemps (un jour peut être vous me lirez dans une FNAC, lol), quand j’ai arrêté d’écrire, l’avion s’était posé à Roissy.